Je suis Charlie : Mais qui est Charlie ?
Un attentat islamiste vient d'avoir lieu dans un pays civilisé, pardon, occidental. La foule manifeste au nom de la République, sur la place de la Démocratie. Au premier rang, une ligne de musulmans, triés sur le volet pour leur faciès particulièrement typé, portant un tapis de prière dans une main, un Coran dans l'autre, défilent, des excuses dans les yeux. Cette rangée bien distincte des autres a été créée au nom de l'ouverture d'esprit, de la liberté et du sacro-saint principe de laïcité, pour montrer l'unité nationale et éviter la stigmatisation…
Derrière eux, des Charlie. Par centaines, par milliers, par millions. Des Charlie qui n'ont pour la majorité jamais lu Charlie Hebdo. Ils ont entendu parler des caricatures du Prophète qui ont fait polémique, mais ils considèrent que c’est la vitrine d’une liberté d’expression qui de toute façon ne leur fait personnellement ni chaud ni froid et qu’il faut donc accepter. Par principe, ils ont acheté, à la sueur de leur front, le numéro du 14 janvier. Leur premier et dernier numéro, qu'ils montrent fièrement à leurs invités "t'as vu ? Je fais partie de la crème des Charlie. Faut défendre nos valeurs républicaines quand même ! Et la liberté d'expression ! Nan, t'es pas d'accord ? Ta gueule alors !"
Autour d'eux, la police. Qui ne craint rien. Grâce à la nouvelle loi sur la surveillance des terroristes potentiels, les RG ont déjà écouté téléphoniquement, épluché les profils Facebook et Twitter, analysé les fichers Dropbox et étudié les conversations Skype de tout ce petit monde. Pas d'attentat en vue pour aujourd'hui.
Les partisans du Front National manifestent, mais ailleurs. Les médias les filment, font des plans de près, de loin, pour illustrer leurs propos sur le danger Front National qui se rapproche, se rapproche…
Il faut bien des images pour compenser les chiffres, qui ne sont pas ce qu'ils semblent être. Les abstentionnistes, du parti NSPP (Ne Se Prononce Pas) augmentent. Mécaniquement, les électeurs du FN augmentent aussi, car le partisan FN ne s'abstient jamais, lui. Le partisan du FN a des convictions, fallacieuses certes, mais il a des opinions, lui. Il les acquiert bien avant de se dire que trop peu de musulmans ont dit haut et fort "non, c'est pas moi !" Dans la phrase précédente, ils n'auraient vu que "trop" et "musulmans", ils ont quelques longueurs d'avance en ce qui concerne l'amalgame.
Les Charlie qui manifestent en portant des banderoles, gonflés de fierté, aiment l'idée d'être dans le camp des gentils, par opposition au camp des méchants, qui ne s'appellent pas Charlie (niveau 1), qui n'aiment pas Charlie (niveau 2), qui veulent tuer Charlie (niveau 3). La question d'aujourd'hui, dans une vision totalement manichéenne du monde, c'est être ou ne pas être Charlie. Vivement qu'on sorte de ce débat stérile et qu'on puisse être tout court. Être humain, et être ému par toutes les morts absurdes de ce monde, sans distinction.
Par Nanou
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